Votre écrivain, ses romans, vos coups de coeur

VOUS VOULEZ UN BEAU CADEAU ?

              

                                                       MES AMANTS

 

                                              (Moi, j’essuie les verres...)

 

 

 

 

 

                                               A Régine, pour son soutien aussi

                                                         enthousiaste que précieux,

                                     je dédie cette FANTAISIE CRIMINELLE

 

 

                                 « C ‘est pas parce qu’on est paranoïaque

                                                    qu’on n’est pas persécutés »

 

                                                           (ce si cher Woody ALLEN)

 

 

      Franchement, je les comprends pas. A vrai dire, ils savent pas que je les entends, ils se croient bien planqués dans le petit renfoncement, pauvres in­nocents. Le Patron est content parce que c’est tout petit sous l’escalier, person­ne en veut les gens disent « on se sent coincés ». Alors le Patron leur met un pastis de temps en temps. Bref c’est pour ça, sûrement, qu’ils revien­nent même si la cuisine est plutôt bonne, parait-il. Et le pastis ils refusent, à midi quand même.

 

       Et moi je peux pas m’empêcher d’écouter, parce qu’à vrai dire j’ai pas grand chose pour m’enchanter l’esprit, là derrière. Et non j’ai pas honte, parce que remplir correctement les machines sans perdre de place donc d’électricité donc d’eau et tout, c’est tout un art et mon Patron qui est radin mais d’un radin, ça il apprécie. Il me donne les pâtisseries qui restent, j’aime­rais mieux des pépètes en bas de la fiche de paye mais par les temps qui courent...

Donc, je les comprends, mais je vais vous la faire courte : ils s’aiment, avec des majuscules et des suçons dans le cou, ils s’aiiiiiiment. Alors, franche­ment, qu’est-ce qu’ils fichent ici ? Tous les jours ? Pourtant je sais pas moi, un petit hôtel pas cher, même un peu cra-cra, y en a dans le coin. Un jour sur trois, peut-être. Au lieu que là, ils s’asticotent, ton corps, tes lèvres, ton sexe, et tralalère. Ils le font quand ? Au boulot ? Dans la réserve de papeterie ? Dans le placard à balai ? Ou alors ils le font jamais. C’est des cérébraux, des causeurs, pas des actifs. 

 

       Ils disent qu’ils ont pas le temps de faire les deux. Baiser ET manger, pensez, en trois quarts d’heure. Moi, si j’étais si amoureuse qu’ils disent qu’ils sont, je m’en passerai bien de manger. Je préfèrerai un petit coup tout doux. De toute façon j’ai jamais faim. Toute la journée dans la boustifaille, ça vous nourrit, croyez-moi. Ca rentre par les pores, le graillon s’accroche dans mes cheveux et mes vêtements. Alors l’amour... ça fait un bail et même un de 48. 

 

       Là où c’est marrant, ç’est pas tant qu’ils peuvent pas baiser. C’est que pendant leur trois quarts d’heure, ils parlent que de leurs mari/femme. T’imagines pas ce qu’Elle m’a fait encore. Tu sais ce qu’Il m’a dit hier soir ? Franchement je me marre. Ceci dit, objectivement, Elle a l’air d’une vraie peau de vache, Il a l’air d’un connard XXL. D’ailleurs de connard à cornard, il n’y a qu’une lettre.

 

        Hier j’avais pas trop pu suivre parce la plus vieille des machines faisait un bruit d’outretombe. Je la sentais pas finir la journée, celle-là. J’ai l’oeil avec les machi­nes, je l’ai dit au Patron, il me dit que je me fais des idées, que je veux lui porter la poisse, je lui dis que je l’aurai prévenu. C’est bête à dire mais ça me ferait presque peine, depuis le temps qu’on bosse ensemble. En plus quand on en change c’est galère pour la mise en route de la nouvelle. Alors je sais peut-être pas les réparer mais j’ai l’oreille et ça n’a fait ni une ni deux ; en plein coup de feu de l’aprèm, la cata. Au lieu de faire de la maintenance, on pousse on pousse et voilà le travail. Je me suis fait engueuler, le bon Dieu, le fabricant, la peste noire se sont fait engueuler, (Sacré Bordel de Merde !) mais c’est moi qui me suis farçis l’eau savonneuse et les graillons. En heures sup, bon encore heureux, mais quand même.

 

        Alors aujourd’hui j’espère m’en payer une bonne tranche. Les coups qu’ils se font des fois, je vous jure ! on se demande où ils vont chercher tout ça. Le Patron dit que c’est vaudevillesque. J’ai pas trop voulu demander, mais je crois que je vois l’idée, en gros. J’ai demandé à Nana – la serveuse en salle – pourquoi qu’ils divor­çaient pas ceux-là. Elle a haussé les épaules, genre je m’occupe de mes oignons, moi. Moi aussi, la preuve je fais qu’écouter. Elle elle peut pas, elle tourne et vire dans toute la salle, alors bien sûr. J’aurai bien aimé, la salle, mais j’ai entendu le Patron une fois, il disait que j’avais une tête à me faire jeter des pierres par les petits enfants. J’étais vexée, à cause des pour­boires, personne donne jamais de pour­boires pour la plonge, et puis c’était pas très gentil, je suis pas Brigitte Bardot mais quand même. Le Patron est comme ça, il aime faire des phrases. Il a fait un peu d’études dans le temps, alors il se la pète. Moi je me console avec mes machines, et mon Petit Couple, c’est comme ça que je les appelle.

 

         Remarque, je n’ai jamais vu leurs bobines, mais j’ai leurs voix. Lui, avec les bières qu’il se torche, je le vois dans la fin de la quarantaine, une confor­table petite bedaine sanglée dans son costume de cadre moyen. Elle, qui dit tout  le temps qu’Il  l’engueule sans arrêt parce qu’elle dépense trop pour se fringuer, qu’Il a pas l’air de savoir que d’un, il y a des soldes tout le temps, et que de deux, dans les métiers de contact faut s’habiller. Non ? Si, qu’il dit l’autre, gourmand, si-si-si tu penses, mais c’est pas trop suggestif de montrer tout ça ? Il voudrait bien les garder pour lui tout seul, ces trésors-à-lui. Et qu’elle te glousse, et qu’ils se bisent !

 

         Je sais pas trop, métiers de contact... La vente, peut-être bien, où l’esthéti­cienne. Mais non je suis bête, il y a un institut à côté de chez moi, elles sont toujours en blouse toutes pareilles. Enfin, si ça se trouve c’est juste parce qu’elle aime ça. Moi, même si c’est pas trop mon truc, je critique pas. D’ailleurs il faut que tout le monde travaille, pas, moi c’est ça ma philosophie. C’est le Patron qui m’a dit ça, « Eh bé, j’ai une philosophe dans ma cuisine ! » mais ça, ça va, j’ai compris. Il y en a une page dans mon programme télé, mais j’ai pas trop le temps de lire. Comme le ciné, j’irais bien mais c’est cher et puis toute seule, hein. Même pour la télé je suis trop fatiguée, je m’endors dessus et bonjour la note d’EDF. Nana m’a dit ma parole mais c’est une noire et blanc, ça n’existe même plus, tu vas pouvoir  la vendre à un musée ! Vrai, elle est pas bavarde mais si c’est pour dire ça quand elle l’ouvre, vraiment, on se demande un peu....

 

          Elle raconte qu’Il  veut aménager un genre de cabanon en maison de cam­pagne. Alors je peux pas changer de manteau, parce qu’Il veut refaire le toit. Enfin faire un vrai toit. C’est un truc à mon beau-père tu vois, le vieux il adorait pêcher maintenant il a ses arthroses je te dis pas. Remarque, fait l’autre, ça serait bien ton mec Il irait le dimanche, on serait tranquille, non ? Ce serait chouette , on pourrait se faire une... enfin tu vois. - Rêve pas, chéri, qu’est-ce que je fais des gosses, et puis Il est jaloux, s’Il y va j’y vais, c’est comme ça, tu Le connais. - Arrête, si je Le connaissais je Iui casserai la gueule direct tu me connais. - Arrête chéri, quand tu dis ça tu me fais peur. J’aime plus trop les concombres, je les digère plus trop, je sais pas, tiens prends-les, toi. - Attends, n’empêche, tu devrais Le laisser faire pour son toit. Il serait content, Il irait pêcher, et Il te lâche­rait un peu. Peut-être pas au début, mais à force. - Toute façon j’ai  pas le choix, c’est Lui qui gère tout, s’Il veut son toit Il l’aura, tu Le connais. - Me dis pas ça tout le temps ça m’énerve. Et puis avec ce qu’Il fume Il va l’avoir son cancer et nous on sera peinards. - Alors là, tu dis pas ça, parce que même pour plaisanter, on dit pas ça, ça porte la poisse, ça. Je veux  pas, et puis c’est quand même le père de mes enfants, hein - D’accord, ma puce, je retire, je rigolais là. Fais-moi un bec, c’est comme ça qu’ils disent les Cana­diens, je trouve ça marrant, t’as pas vu à la télé ? - Arrête avec la télé, tu sais bien que j’ai pas le temps, j’ai les lessives et le repassage, et puis Il  regarde le foot, je sais pas com­ment ils font mais il y a du foot tout le temps. - Ben tu peux me croire, si moi je t’avais sous la main, je serais pas là à regarder le foot. - Oui, toi c’est facile, ta femme elle a la femme de ménage là, mais moi... - Pourquoi t’en demande pas une, aussi ? - Non mais je rêve ! déjà pour le lave-vaisselle ça a été la croix et la bannière alors une femme de ménage ! De toute façon Il dit qu’Il  veut personne à trifouiller ses affaires. Ca, oui, j’en ai fait mon deuil. Il dit que c’est moi qui veut travailler, Il me force pas, hein, alors que j’ai qu’à assumer et point-barre. – Com­­ment t’as fait pour épouser une brêle pareille, j’en suis sur le cul. – C’est ça, tu peux parler, Elle est quand même pas mal torchée, Ta Monique. – Ca c’est l’âge, ma puce, nous on a évolué Eux ils sont restés le nez dans Leur caca. – Tu prends un café ? – Oui, mais pas rincé, j’ai rencard, un commercial, ça sent trop tu com­prends. – Au fait demain, tu peux décaler ? Pour la demie, j’ai dentiste et ma chef m’a pas donnée mon heure, je gratterai un peu avant. – D’acodac, j’irais boire l’apéro avec les collègues, ils me demandent tout le temps, je voudrais pas refuser tout le temps, des fois qu’ils aient des doutes.  – Et Ta Monique, Elle en aurait pas des fois des doutes, à te voir pomponné comme ça ? – Ben je Lui dis toujours que si Elle veut que je grimpe, faut de la repré­sen­tation. Les godillots merci bien. – C’est ça aussi que j’aime chez toi. C’est pas parce que vous êtes des hommes qu’il faut se laisser aller. Toi au moins tu présentes. Pas comme l’Autre. Allez j’y vais, bises, on fait comme ça pour demain. – Bises, tu vas me manquer, ça tu le sais, hein, tu le sais ? – Mais oui mon loup.

 

        SmackSmack. La porte claque. – Vous me remettrez un café, Patron, baptisé cette fois. Ah les bonnes femmes.

 

        Vous voyez ce que je voulais dire ? Il va s’en siffler deux-trois, sans le café ce coup-çi. Une fois par semaine, il paie son ardoise, et le Patron lui offre la Fine. Qu’est-ce qu’il se met dans le cornet, ce type !

 

         En attendant, la nouvelle machine tourne comme un joli coucou, ça fait que j’ai pu me consacrer à mon Petit Couple. Quand même, je voudrais bien leur jeter un oeil, voir s’ils sont bien comme je les imagine. Par exemple, elle, je dis qu’elle a une voix de blonde, mais qu’est-ce que c’est une voix de blonde ? Et puis, natu­relle ou décolorée ? Sûrement décolorée, les vraies y en a pas tant, chez nous. Lui, je le vois un peu en profil perdu, dans l’acier brossé de la porte de la chambre froide. Mais elle, elle est dans le renfoncement, alors macache. Il faudrait que je me couche carrément dans le passe-plat, je vous dis pas la gueulante du Patron. Un coup à se faire virer. Parce qu’attention, à ma place n’importe qui peut faire la plonge. En salle, la personnalité ça peut compter, il y a des clients qui viennent pour mater - bon, pas Nana, mais dans certains restos, oui, ça compte. Et pas que pour le cul, la gentillesse, comme dit Nana, « ils aiment que je sache qu’ils aiment la moutarde comme-ci, le pain bien cuit, la grande carafe très froide, tu vois, qu’on personnalise, qu’on les reconnaisse. C’est ça qui fait le pourboire ».

 

         En fait, j’ai pas osé lui demander combien elle se faisait. C’était déjà un miracle qu’elle me parle, on a beau être des femmes il y a la hiérarchie quand même. Le Patron, bon, c’est le Patron, grande gueule et tout, mais enfin une fois calmé après qu’il est parti en vrille, ça va. D’ailleurs quand tout roule, on a l’impres­sion qu’il ronge son frein pour qu’il arrive une couille, qu’il puisse s’énerver un bon coup, faire son cinéma et mouliner des bras. Il s’emmerde quand tout baigne, c’est visible. Heureusement il y a toujours un truc, entre les fournisseurs, les impôts, l’URSSAF, y a qu’à choisir. Il s’en paye une bonne tranche, gueule un bon coup, ça doit lui clarifier les sangs et il redevient sympa pour le coup de feu.

Finalement c’est rigolo, ça anime. Parce qu’avant les clients, y a que le  ménage et la mise en place, c’est fastidieux. Là il fait le spectacle, merci Patron.

 

            En fait, je parle je parle, pour m’étourdir, je ne veux pas penser à ce soir. J’ai ma nourrice à voir, elle devient gaga, la pauvre, elle en a élevé des charretées d’enfants, dans sa vie, dont moi - vous l’avez compris. Je la vois une fois par mois, je l’accompagne à son Loto, elle gagne jamais moi non plus d’ailleurs. Je me demande même (je suis peste !) si elle aimerait tant que ça de gagner : elle pourrait plus se plaindre de « sa poisse » ! De toute façon c’est des trucs genre bouteille de mousseux ou saucisson rosette. C’est à la Salle patro­nale, tous les vendredi soir, moi j’y vais qu’une fois par mois, les autres vendredi c’est d’autres. J’en connais un qui était chez elle en même temps que moi, Roland, les autres sont plus vieux, je les ai pas connus. Roland c’est le vrai con prétentieux, heureusement il a pas cherché à faire ami-ami, ça tombe bien parce que moi, j’ai pas de temps à perdre.

         

 

 

       

     Là, pour Rose, je me sens un peu obligée, après tout pour ce que l’Etat la payait, on pouvait parler de charité chrétienne pour nous. Parce que Roland, puis­qu’on en parle, c’était plutôt le petit con, et sournois, et vachard, je l’évitais comme la peste, mais c’était pas facile parce que l’appartement était plutôt riquiqui. Ca sentait la pous­sière, je peux pas dire mieux, la poussière, mais la poussière a quelle odeur ? Je ne sais pas, le vieux, le renfermé, sans doute, et l’air quand on a repassé et pas aéré. Rose repassait même les tor­chons à vaisselle. Jamais compris pourquoi, si c’est pour les coller au cul des verres mouillés... Enfin chacun sa manie, ça pourrait être pire, sa voisine s’arsouille au gros rouge, elle se cogne contre la cloison mitoyenne, ça fout les jetons, la première fois j’en revenais pas, je demande à Rose qu’est-ce qui se passe, elle me raconte t’inquiètes pas, c’est tous les jours comme ça la pauvre. Elle a que des soucis. J’en revenais pas ! Rose qui dit toujours qu’il faut savoir se tenir ! Et là, elle dit juste « la pauvre » ! Entre vieux, on se soutient, peut-être que sans ça c’est pire, je peux pas imaginer d’avoir dans les quatre-vingt, peut-être même plus pour ce que j’en sais.

                                                                                     * * *

 

Voila le premier chapitre d'une nouvelle Fantaisie Criminelle :

MES AMANTS (Moi j'essuie les verres...)

disponible sur BoD ou chapitre.com.

 

Bien sûr, vous penserez à en faire cadeau de Noël ou d'anniversaire à vos amis... car ils le méritent bien !!!