Votre écrivain, ses romans, vos coups de coeur

Un si pétillant naufrage - chapitre 8

                                            chap- HUIT –itre

 

 

On peut dire que j'ai la poisse. La Furette m'appelle sur mon portable (c'est mon premier appel, j'ai été tellement surprise par cette sonnerie intempestive et inconnue que j'ai sauté en l'air – si je puis dire !), pour me signaler qu'elle ne viendra pas demain pour mes batteries.

            Elle est malade. Ben tiens. Est-ce que je suis malade, moi ? Je suis tellement en fureur, d'un coup, que j'oublie de lui demander si elle ne peut pas m'envoyer son Mec, et elle raccroche avant que je reprenne mes esprits.

Et merde. En plus, j'entends le Toubib qui vient secouer la tirelire.

Il faut que je me calme, je ne veux pas qu'il me voit comme ça.

Mais il est déjà en haut. Qu'est-ce qu'ils ont tous à monter ces deux étages à toute vitesse, comme des Zébulon survitaminés ? Mais là, c'est lui qui a les doigts dans la prise : je ne l'ai jamais vu dans cet état. (Peut-être que la Sécu ne rembourse plus ? ça serait un sacré coup dur, mmmh ? cette perspective me ravit, et du coup m'apaise).

Evidemment, c'est pas ça. Il vient de contrôler mes réserves

de morphine. Qu'est-ce que j'en fais, nom d'un chien ? Il se rend compte de l'énormité de sa sortie, et bredouille que je ne suis pas raisonnable, que je Ne Suis Pas Sans Savoir (je HAIS cette expression), qu'il y a des Risques d'Accoutumance (sans blague : mais moi, je ne demande pas mieux que de me lever pour aller cavaler à la recherche de ma pré­cieuse drogue ! Non, mais quel con, ce mec !) ; et est-ce que je serai d'ac­cord pour essayer d'espacer les prises, il y a en ce moment sur le marché un antalgique très prometteur…

Il me gonfle. Vraiment, il me gonfle. Alors je lui aboie à la figure que : Un)- je sais parfaitement qu'il y a un Registre des trucs, là, des Drogues ; Et que : Deux)– je n'en prends pas tant que ça, alors JE ME DEMANDE OU IL Y A DU COULAGE (ça doit se revendre bonbon, sur le marché parallèle, non ?)

Quand il comprend où je veux en venir, il me tourne le dos, fait un effort visible pour ne pas m'étrangler sur le champ, et prend une voix sépulcrale. Il veut bien comprendre que « dans mon état » je puisse « m'abuser sur la réalité des choses ». Néanmoins, il doit me mettre en garde, c'est son rôle de médecin.

           Médecin, mon cul. Je ne le lui avouerai pas, la tête sur le billot : mais quand j'en prends, c'est que je n'en peux plus, que je suis à bout de souffrance. Parce que cela me met dans un état de confusion intolérable. Je n'ai pas UNE SECONDE de lucidité à perdre (je crois que je l'ai déjà dit quelque part, mais je m'en cogne). Je tends la main vers la pompe, et quand il me voit, il a deux solutions : m'arracher tout le bazar, ou prendre la fuite.

 

Devinez quoi ?

                                                         *

Aminata n'a pas osé entrer pendant l'algarade (encore un mot que j'aime beaucoup, alors que c'était plutôt une bataille de chiffonniers, mais bon), l'algarade, disais-je, mais elle devait être derrière la porte parce qu'elle a jailli directe­ment derrière ses talons. 

J'étais en train de hurler que je connaissais parfaitement

l'existence du Conseil de l'Ordre des Médecins, mais elle a fait écran, je ne sais pas s'il a entendu.

Tant pis, j'aurai bien l'occasion de le replacer…

En patouillant mes oreillers, elle pleurniche que je ne devrais pas me mettre dans des états pareils, que ça lui fait des palpitations…

Encore un truc qui me hérisse : c'est MOI qui suis malade,nom d'un chien, mais c'est EUX que ça rend malades…

En attendant, elle me précise qu'elle m'a ramené un gombo de chez elle, qu'il est frais de la veille. La Gouvernante ne supporte pas les nourritures exotiques dans sa cuisine. (Ce coup-là, Aminata me l'a fait souvent, la geignarde. Je soupçonne, parce que j'ai mauvais esprit, comme vous le savez, qu'elle aurait tôt fait d'investir à longueur de temps la grande cuisine avec son gaz gratuit, ces plats qu'il suffit de mettre dans le lave-vaisselle à l'électricité gratuite, pour nourrir son petit monde, quasi gratos, donc).

Donc, pas de ça Lisette.

Je remercie pour le gombo. Je n'ai pas faim. Et je ne vais même pas pouvoir le balancer dans les toilettes, comme font les anorexiques dans les hôpitaux. (Je ne sais plus où j'ai lu ça, mais même si elles n'avaient que la peau sur les os, elles pouvaient quand même le ramener (leur sac d'os) jusqu'aux chiottes. Remarquez, les infirmières sont au parfum, on ne la leur fait pas. Mais bon).

Je le mangerai son gombo. J'ai besoin, au moins pour la journée, de l'avoir dans mon camp. Je lui en ferai même compliment.

                                                                        *

 

J'en ai besoin, oui, d'Aminata, pour séduire le docteur. Finalement, son antalgique-miracle, il me le faut. Même s'ils sont expérimentaux, qu'on n'a pas de « recul » (franchement, moi, l'avenir… enfin bon, vous voyez ce que je veux dire).

          Mais je refuse de lui demander moi-même, plutôt crever. Si je peux me passer de morphine, c'est tout bénéf : j'ai VRAIMENT bresoin de réfléchir.

Okay ?

(Je trouve « Okay » plus sexy que « O.K. » Mais je n'oblige personne).

En fait, il était vraiment bon, son gombo. Donc je lui ai expliqué ce que je voulais, elle m'a juré-craché qu'elle me l'aurait, mon truc. En fait, je crois qu'elle est plutôt contente, parce que le coup de la morphine, avec ce quasi-coma où cela me met, lui flanque une trouille bleue.

Après tout, je suis son gagne-pain.

                                                                          *

 

Il y a un boucan d'enfer, dehors. Je sais que le Tuteur a vendu une grande partie de la propriété à la Mairie, pour faire du logement social. Ca veut dire du HLM. Je n'ai rien contre, sauf quand ça se passe sous ma fenêtre. J'ai l'impression que j'ai le marteau-piqueur directe-ment branché dans le tympan. Franche­ment, ils pourraient me foutre un peu la paix. Je suis mourante, non ? Un peu de décence, que diable (tiens, j'ai réussi à le placer, celui-ci. Juste avant, dans mon Carnet de

Mots, j'ai« cornegidouille ». Là, ça risque d'être coton).

Donc, avec ce tintamarre, j'ai du mal à réfléchir. Il va bien falloir que je le trouve, ce moyen. J'ai l'Intention, le Mobile, mais pas le Moyen. Il faut dire que je suis limitée. Je ne peux pas me glisser subrepticement hors de la maison, pour gagner la Civilisation, qui me vendrait quelques bidons d'essence pour foutre le feu à la baraque. D'ailleurs cette maison date de deux siècles, en bonne vieille pierre de taille : aucune chance qu'elle flambe comme la maison de paille des

trois petits cochons. Encore un con de première, d'ailleurs, ce cochon-là.

Exit, donc, l'embrasement de mon home-sweet-home.

Au fait, qu'est-ce qu'il en fait de tout ce fric, le Tuteur ? J'entends Dom le Magnifique qui monte. Il faut que j'ai l'oreille fine, d'abord parce que, malgré son gabarit imposant, il a le pas léger et discret, et ensuite parce que le Marteau-piqueuriste fait peu de pauses.

Cela me chagrine toujours, quand il manipule mes jambes. J'ai deux pample­mousses fripés en guise de genoux, coincés entre deux baguettes, une en aval et une en amont, qui me navrent. J'ai un sens de l'esthétique qui se choque de ce spectacle.

           Vous me direz que, une, je devrais m'y être faite depuis le temps, et que, deux, je n'ai qu'à pas regarder. Ben tiens. Sauf que je ne peux pas m'en empêcher. C'est probablement ce qu'on appelle une

« fascination morbide ».

Ce type est toujours d'un optimisme, plein d'une joie de vivre qui me heurtent. Ou alors c'est son boulot qui veut ça : comme il ne voit que des malades, ça fait partie de son éthique d'être – de paraître – ravi de VOUS voir, de VOUS soigner, de VOUS permettre d'illuminer SA journée rien qu'en lui permettant de faire SON boulot.

Déprimant, quand on y pense.

Et le pire, c'est qu'il espère sans doute que sa pêche sera communicative.

Merci Dom-Dom. On pourrait même dire Dum-Dum : ces balles qui s'éclatent en feu d'artifice à l'arrivée. Il paraît que ça fait de sacrés dégats chez le destinataire.

C'est bien le cas chez moi : cet optimisme forcené me file le bourdon. La fois où je le lui ai dit, il m'a regardé, surpris. Après réflexion, et quelques puissantes manip, il m'a dit, sentencieux, que c'était le fonds de son caractère, qu'il n'y pouvait rien.

           Puis, quelques massages plus tard – et ça, c'était drôlement personnel, et risqué avec une malade -, que c'était sa façon à lui de résister à la contagion.

La contagion de quoi ? De ne voir que des épaves coincées dans des lits ? De se protéger de leur désespoir ?

Du coup, je n'ai plus osé en reparler. On fait des concours de sourires béats. C'est à qui se montrera le plus farceur, le plus fou. Des fois ça me fait marrer, d'autres ça me nique ma journée.

Exemple d'histoires « drôles » qui le font hurler de rire : « Il était une fois un monsieur très laid qui a épousé une femme très laide. Ils ont eu un enfant et ils ont dû le jeter ».

Oups. Le pire, c'est que cette fois, j'ai vraiment rigolé, et de bon coeur encore !

Apparemment, il se fait un devoir de m'en apporter une nouvelle tous les jours. Aujourd'hui, c'est l'histoire des trois frères américains. Je vous la passerai quand j'aurai un moment, parce queDom-Dum vient de partir, et j'ai ma séance douche-quatre-tours.

                                                                     *

 

Toubib est passé après le déjeuner. Il est « ravi » de ma décision d'utiliser ses médocs anti-douleur (il va pouvoir me faucher un peu plus de morphine, je comprends que ça le mette en joie). Il m'en a filé deux boites, en me sommant de noter tous les effets secondaires, sans faute. Si ça se trouve, il se fait payer par la boite qui les fabrique, avec moi dans le rôle du cobaye. Dès qu'il est parti, j'ai étudié la notice : entièrement en anglais. Donc, j'en déduis que ce n'est pas autorisé sur le marché français. CQFD : c'est un protocole d'essai.

Il me prend vraiment pour une bille, ce con. Je vais quand même en prendre deux, parce qu'au fond, qu'est-ce que je risque ? Je vais faire des recherches sur Bubalu : je crois qu'il a un système de traduction quelque part (Bubalooou mon amooour !)

                                                                     *

Quand j'ai ouvert les yeux (si, si, à quatre heures et quelques de l'aprèm'), Aminata était au pied de mon lit, perplexe. J'ai dormi en plein jour ! Qu'est-ce que c'est ces fichus machins ? Un somnifère à usage vétérinaire, cheval, voire éléphant ?

           Vous me direz que, quand je dors, je ne souffre pas. Okay. Sauf que moi, je voudrais ne PAS souffrir, ET ne PAS dormir). Donc, je griffonne : deux comprimés après le déjeuner, deux heures de sommeil INVOLONTAIRE (et mal venu, bordel). Encore que, puisque je dors très peu la nuit, ce qui aurait pu être un simple assoupissement s'est transformé en sommeil profond.

Et puis, au fond, je suis en pleine forme – mentale, j'entends. J'ai l'impression d'avoir deux cerveaux en sur-régime. J'arrache et froisse la feuille, je la donne à Aminata destination poubelle. Non seulement je garde, mais j'en redemanderai !

Aminata est toute contente de mon contentement, elle en profite pour me proposer un chocolat chaud. Vendu. (Le temps qu'elle descende, distille le truc et le remonte, je vais pouvoir faire chauffer Bubalu pour cette fameuse recherche).

                                                                    *

Rien trouvé. Et croyez-moi, je suis maligne sur ce genre de coups. Ca doit être top secret. Fabriqué par la CIA pour neutraliser l'ennemi, le temps de le napal­miser tranquille.

Je vais l'appeler mon Miracle.

 



16/07/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 7 autres membres